Sceau MAO Feili Toit du temple de Conficius
毛飞利
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chinois



 
               

 
Le Pont aux Indigotiers (Lan qiao)

A : rôle féminin

B : rôle masculin

A

Cimes éprises des forêts de pins, pins amoureux des cimes,

B

Cimes et cimes avec vos sources pures,

A

Sources pures qui alimentez inconsciemment les courants,

B

Courants qui vous jetez inconsciemment dans les méandres du fleuve.

A

Dans la partie orientale du fleuve vit un licencié nommé Wei,

B

Dans la partie occidentale du fleuve vit une certaine Lan Ruilian, dite Lotus-de-la-Chance,

A

Ruilian se livre à la couture en son logis,

B

alors que Wei, dit le Lauréat, étudie sur les cimes.

A

A l’époque de la fête des morts, les étudiants sont en congés,

B

alors Lauréat fait ses adieux à son professeur et descend de ses cimes.

A

Les rives du Fleuve Bleu offrent de magnifiques paysages,

B

en mars les fleurs de pêcher emplissent les jardins.

A

Deux à deux les libellules viennent jouer dans l’eau,

par deux, les papillons virevoltent dans l’air,

Deux à deux, les canards mandarins se prélassent sur la grève,

par deux, les oies sauvages sur la grève se prélassent.

B

Le jeune prince ne se presse pas et admire le paysage printanier,

et dans sa flânerie il parvient au pont des Indigotiers.

Le pont on a été construit en dix-huit arcades,

neuf sont immergées, neuf sont à sec.

Le pont est pavé de pierres lithographiques,

et de part et d’autre sont posées des balustrades de métal.

En tête de pont est gravée une paire de sentences parallèles,

en gros caractères rouges et fraîchement peints.

A

Sur l’inscription supérieure on peut lire :

B

« La structure peu soutenir des tonnes »

A

Sur l’inscription inférieure on peut lire :

B

« Les traverses peuvent être chargées du poids de mille montagnes. »

L’inscription horizontale laisse voire quelques caractères,

des menuisiers se sont occupés de l’ouvrage.

Sans mot dire, le jeune prince s’engage sur le pont,

A

Parlons maintenant de la belle nommée Lan Lotus-de-la-Chance.

Nous sommes chez la belle :

B

Tu es occupée à ta couture,

A

mais soudain hurle la belle-mère.

B

Criant à faire trembler le ciel.

A

Il est presque midi !

B

Si tu ne t’actives pas à la cuisine,

A

Tu vas faire mourir de faim ta vieille mère,

B

Charge t’en vite !

A

Lotus-de-la-Chance pose son ouvrage,

et arrive dans la cuisine, pleine d’amertume.

(à elle-même) « Il n’y a pas de bois de chauffage dans la maison, la corvée de ramassage est pour toi ma fille,

Il n’y a pas d’eau dans les jarres, et là aussi c’est encore pour toi.

De la main droite je tiens les seaux en bois de cyprès,

De la main gauche je décroche une branche en bois de bouleau.

A

La branche est étroite aux deux extrémités,

B

mais large en son milieu,

A

les deux extrémités se redressent vers le haut,

B

ce qui forme un arc au milieu,

A

quand je fais un pas en avant,

B

ce balancier oscille une fois.

A

Puis je fais deux pas en avant,

B

il vibre par deux fois.

AB

Ces mouvements me font mal à l’épaule et mon bras en est tout meurtri une fois arrivée au puits, pauvre de moi !

Je pose les deux extrémités et je remplis les seaux,

je laisse la branche de bouleau de côté,

fais un pas et monte sur le parapet,

je tire sur le treuil de la pointe de mes dix doigts,

la première fois mes poignets en sont tout fourbus,

la deuxième fois, je pleure à chaudes larmes,

et une troisième fois encore,

éreintée, ma chemise est trempée, qui donc aurait pitié de moi ?

Hélas ! Quand le ciel sera-t-il serein ? »

A

Voici Lotus-de-la-Chance fort tourmentée,

B

Sous le pont vient à passer Wei le Lauréat.

le jeune prince regarde devant lui, le port altier,

il voit alors la jeune fille auprès du puits,

elle porte une veste traditionnelle bleu clair,

à la taille elle est vêtue d’une jupe de satin pourpre,

toute froissée de centaines de plis,

le vent souffle dans les cent plis qui tombe sur ses pieds bandés,

ses cheveux noirs sont comme teintés d’encre,

une épingle de tête plaquée or est piquée dedans,

sous l’épingle apparaissent les oreilles telles des lingots d’argent,

aux oreilles des anneaux tout de jade incrustés d’or,

à coté ressort le teint du visage tel de la poudre d’hibiscus,

feuilles de saule les sourcils, tels les courbes d’une feuille de saule,

amandes les yeux, tels une paire d’amandes,

cerise la bouche, telle une cerise renfermant des dents de jade.

Pourquoi une jeune fille en fleur vient-elle tirer de l’eau ?

Pourquoi les courbes de ses sourcils sont-elles froncées ?

Pourquoi se tient-elle là, les joues parfumées enserrées dans ses mains ?

Pleure-t-elle à chaudes larmes en se languissant ?

Il regarde là haut, on dirait Lotus-de-la-Chance,

Il baisse les yeux, c’est bien Lan Lotus-de-la-Chance,

il a bien envie de monter lui faire un brin de causette,

mais selon les convenances, il est d’usage qu’hommes et femmes doivent garder leurs distances(1),

Il baissa la tête et lui vînt un stratagème,

Pourquoi ne pas solliciter un peu d’eau et par là même faire connaissance ?

Allons là-haut faire les salutations d’usage,

A

La belle rend la pareille.

B

L’étudiant en vacances presse le pas pour rentrer au pays,

il poursuit sa route tout assoiffé,

arrivé au puits il cherche à boire une gorgée d’eau,

si ma chère belle-sœur veut de l’argent, eh bien je lui en donnerai.

A

Le sceau est rempli d’eau, il n’y a plus qu’à boire,

et moi, petite servante, ne te demanderai pas une sapèque.

B

Le jeune prince en entendant ces mots débités,

s’échine et saisit le sceau à bras le corps,

la première gorgée est douce comme le miel,

le seconde est plus douce encore que le miel.

A

Lotus-de-la-Chance l’observe alors minutieusement,

elle examine ce jeune homme dans la fleur de l’âge.

Il porte une jolie étoffe sur la tête,

et sur le corps une chemise de gaze bleue,

à la taille une ceinture de soie serrée,

il n’a pas de bottes mais de fines semelles de tissu,

ses yeux me rappellent quelqu’un,

Elle ne se rappelle pas de quelle famille il est ?

Observe-le longuement, et ainsi tu le reconnaîtras,

lui, lui, lui, c’est ce cher cadet Wei le Lauréat.

Elle veut monter à lui et l’appeler,

mais elle craint que son cadet ne la reconnaisse,

alors elle veut alors rentrer la palanche sur les épaules,

une telle occasion manquée, que de regrets ;

elle est pleine d’amertume et ne sait comment l’épancher,

quelle peine si dure à exprimer,

voir cet ami intime et ne pouvoir lui dire des mots intimes,

même dans l’autre monde elle ne serait pas soulagée.

Lan Lotus-de-la-Chance rumine ses pensées obsédantes, sans issue.

B

Wei boit l’eau fraîche et dit :

« chère belle-sœur d’où es-tu ? quels sont tes nom et prénom ?

Un jour viendra où je te remercierai d’une visite en ton pays natal. »

A

« Ma mère est de la famille du Relais des Lan,

ma belle-famille est de celle de la Baie des Zhou.

Suis et regarde bien le mouvement de ma main,

B

tourne à l’est une fois,

A

la maison est au nord de la route,

B

le mur d’enceinte est au sud,

A

à l’est de la porte un saule est planté,

B

le saule plie selon trois arcs,

A

une cage à oiseaux y est accrochée,

B

et un âne attaché à son pied,

A

le mur de la cour est haut de neuf pieds,

B

l’embrasure de la porte c’est la largeur de la pièce,

A

le portail est tant noir que brillant,

B

de fines feuilles de métal incrustées décorent l’embrase,

A

en entrant dans la cour pour jeter un oeil,

B

on voit les toits de tuile qui couvre les trois pièces,

A

ma belle-famille est logée dans la pièce de l’est,

B

moi petite servante loge au niveau du pilier ouest.

A

Au bâtiment est on a aménagé des cloisons fleuries,

B

au bâtiment ouest on a suspendu une tenture,

A

toute doublée de satin,

B

incrustée d’un épais duvet,

A

aux quatre coins ont été gravés le caractère « wan »

B

et sur les quatre cotés des chauves-souris préservent la paix,

A

aux quatre coins et quatre cotés de la tapisserie sont représentées quatre scènes,

B

quatre scènes de théâtre réellement impressionnantes.

Voyons donc la première !

A

C’est Xu Xian(2), l’immortel qui est brodé là.

B

Il se sert d’une ombrelle ??????

A

La très chaste Serpent Blanc est enceinte et recherche son époux,

elle verse des larmes de douleur,

qui coulent à n’en plus finir,

Dans un flot continu,

sa joue gauche ne sèche pas,

sa joue droite ne sèche pas,

ses yeux sont tout endoloris,

elle soupire tout en fixant au loin le Pont Brisé.

AB

Elle exècre ce maudit moine Fahai aux paroles mielleuses.

B

Passons à la deuxième scène !

A

C’est Hongniang(3), l’entremetteuse, qui est brodée,

B

En pleine nuit une lettre est envoyé au Pavillon de l’Ouest(4).

A

Cui Yingying

elle se languit du lettré Zhang,

elle peste,

se lamente,

veut tout abandonner,

mais ne peut s’y résoudre,

les larmes coulent en silence par milliers,

comment remercier celui à qui on doit tant ?

AB

Elle se plaint que sa mère eut changé d’avis.

B

Voici maintenant la troisième scène !

A

C’est Zhang Tingxiu(5) qui est maintenant brodé,

B

préparant ses examens, il n’était pas retourné chez lui depuis six ans.

A

Wang Deuxième-sœur pense jour et nuit à son époux tant amaigri,

L’oreiller brodé de canards mandarins,

froid,

chaud,

la tête recouverte du voile rouge,

Se repose,

Jusqu’à la fin du jour quel tourment.

Chaque jour elle se languit se son bien-aimé.

AB

Résolue, elle brise le miroir et déverse la laque.(6)

B

C’est maintenant le tour de la quatrième scène !

A

Il s’agit là du « Rêve dans le Pavillon Rouge »,

B

où l’on voit Bao Yu sombrer en silence dans la maladie.

A

Toute blême, Lin Daiyu se tient sur le bord du lit, à son chevet,

Son regard charmant est tout vague,

Un peu plus haut,

Un peu plus bas,

il pousse un long soupir,

un soupir court,

ces sentiments ne peuvent être rompus.

Eperdue de Baoyu son bien aimé d’une passion aveugle.

AB

De soucis en soucis, quand les feuilles mortes retourneront à la racine qui leur a donné la vie.

B

C’est au fil du récit de ces quatre tableaux scéniques,

que le jeune prince comprend la détresse profonde de sa chère belle-sœur.

Il la questionne sur les autres membre de sa famille,

« pourquoi as-tu l’air aussi soucieuse quand tu viens puiser l’eau ? »

A

 

Mon mari se nomme Zhang Yujing, Panorama-de-jade,

Il se plaît à bâfrer, ne lève pas le petit doigt et exige un gros revenu,

dedans comme dehors c’est moi qui trime,

Je me nomme Lan Ruilian.

B

Le fait est que tu es demoiselle Ruilian, dite Lotus-de-la-Chance.

A

Tu es…

B

Je suis ton cadet Wei Kuiyuan, le Lauréat.

A

Mon cher cadet !

B

Grande sœur !

AB

En voyant son cadet, tout un passé pénible refit surface.

En voyant sa grande sœur, un passé pénible refit surface.

B

Il y a huit ans de cela nos demeures familiales s’étendaient d’est en ouest.

A

Nous étions main dans la main et riions à tout va.

B

Nous avions l’un pour l’autre la tendresse des compagnons de jeux d’enfance,

A

nous étions de ces jeunes pousses de pin qui restent vertes d’un bout à l’autre de l’année.

B

Je t’aimais et entre tous tu es de loin celui qui était le moins ennuyeux,

A

Je t’aimais d’une raison des moins détestables.

B

Si un seul jour nous ne nous étions point vus,

A

tu m’aurais cherché si je ne l’avais point fait.

B

Je fus une fois la risée des voisins du quartier,

AB

Car ils disaient que nous étions liés l’un à l’autre comme des canards mandarins.

A

Nous nous revoyons aujourd’hui,

Et tout un passé douloureux me revient en mémoire.

Une année, à la fête du « dragon qui sort la tête(7) », je lui ai donné une « queue de dragon » à installer,

Je lui ai brodé une petit sac à suspendre à la poitrine pour la fête du 5 mai.

Plus j’y pensais, plus je trouvais cela amusant,

le sourire jusqu’aux lèvres j’allai récupérer les vêtements.

En montant je pensai tendre la main,

Hélas ! Le passé se brouille comme la tombée d’un écran de fumée flou et indistinct.

B

«Kuiyuan, le Lauréat, rumine intérieurement,

Demoiselle Lotus-de-la-Chance renferme en son cœur quelques amertumes.

Chère sœur peux-tu me faire le récit de la noce ?

Et livre-moi tes peines je t’en supplie.

A

A ces mots, Lotus-de-la-Chance baisse la tête.

Ses larmes coulent comme se faisant l’écho des temps jadis.

« Quand cette année là nous fumes séparés,

j’ai quitté la Baie des Zhou comme on fuit la famine.

Mais mon maigre apport ne me permettait pas de vivre,

Mon père a dû travailler comme ouvrier agricole chez les Zhou quelques années,

pas un jour nous ne mangions à notre faim,

Au fil du temps il finit par devoir 800 ligatures de pièces aux Zhou,

Tout du long de l’année, la dette produisait ses intérêts mensuels,

Une fois pris dans cet engrenage, il n’y eut plus moyen de changer.

Zhou Yujing vil et méprisable voulu me prendre pour épouse,

il chargea une entremetteuse de régler cette affaire matrimoniale,

mes parents ne donnèrent point leur assentiment,

les Zhou exigeant le paiement des dettes, se tenaient devant l’entrée,

ils dirent que dans le coffre il y avait de l’argent et qu’il fallait le donner,

Il cogna sur le bâti du kang(8) avec une cravache,

Père n’eut plus qu’à céder, Il consenti au mariage pour restituer la reconnaissance de dettes.

Dès ce jour l’affaire du mariage fut entendue.

On arrêta la date du 23 mai.

Ce jour-là je venais juste de me lever aux aurores et j’allais aux champs,

Quand soudain j’entendis les trompettes tonitruantes,

Elles eurent l’effet de couteaux qui me lardaient le cœur,

Je ne distinguais même plus les quatre points cardinaux,

Je n’étais ni peignée ni lavée,

Mes yeux s’embuèrent d’un flot de larmes.

A l’occasion de leur mariage, les gens débordent de joie,

dans mon cas il me semblait passer les portes de l’enfer.

Trois mots d’adieu s’échappèrent de mes sanglots pour mes parents,

En montant dans le palanquin de la mariée je ne pu sécher mes larmes.

Le voile rouge me semblait être la coiffe blanche du deuil.

La grande veste doublée rouge vif me semblait être la chemise blanche du deuil,

Les porteurs me donnaient l’impression de me mener en bière.

A l’intérieur, je me sentais telle une âme errante en quête du paradis de l’Ouest.

On passait une chaîne, j’en pleurais tout du long,

On passait une montagne, je pleurais sur les cimes,

Je voulais sauter à terre et courir me noyer dans le fleuve.

Je pensais à mes vieux parents dont personne ne s’occuperait plus.

Mes pleurs et hoquets s’accéléraient,

quand le palanquin parvînt à l’entrée de la demeure Zhou.

Je foulai une poche de sorgho en descendant du palanquin,

Je piétinai les sacs de sorgho en sortant du palanquin.

De toutes parts, les assistants déplaçaient la carpette de feutre rouge (9).

B

Elle allait vite la carpette,

A

Car on me menait joyeusement,

B

Elle allait lentement,

A

Car moi pauvre petite j’allai, amorphe.

Allait la carpette, la carpette allait,

L’autel céleste se balançait non loin de moi.

Le vent se prit dans mon voile rouge et je vis distinctement

à mes cotés se tenir un vieil homme.

Il faisait bien ses trois pieds et demi de haut,

Il pouvait bien être épais de deux pieds un tiers,

Devant il bombait le torse comme un coq,

Derrière il était cambré comme une bombonne(10),

Une barbe était gravée d’une tempe à l’autre dans son visage émacié,

En regardant de près on distinguait des taches de rousseur.

Tu vois bien comme je pouvais bouillir intérieurement,

Mes mains tremblaient et mes jambes me lançaient de douleur,

en un instant mon regard devint lugubre et mon corps chavira,

ma future belle-mère me soutint par les bras avec précipitation.

Bon an mal an après toutes ces simagrées, je fis mon entrée dans la chambre nuptiale,

Je n’étions pas encore assis sur le bonheur(11) qu’on me fit regarder le sud.

Nous étions là tous les deux assis sur le bonheur,

Les préposés aux mises en bouche(12) rapportèrent des raviolis.

Les raviolis de la postérité(13) fins comme le bout des doigts,

furent engouffrés en trois ou quatre bouchées par le vieillard.

Lotus-de-la-Chance voyant cela eut un coup de sang,

Elle tendit la main et souleva le bol afin de le renverser.

Le vieux monstre bon gré mal gré descendit du lit,

et de ses deux mains le remit d’aplomb sur le bord du lit.

En peu de temps les convives eurent raison des victuailles,

et le soleil disparu derrière les montagnes de l’ouest.

A

Pendant la première veille,

B

La lune s’illumina,

A

Le vieux monstre rentra,

Il me fixa d’un œil méprisant sans pour autant avoir l’air de vouloir me passer un savon,

Les sourcils froncés, je ne levai point la tête,

Il vînt à moi pour me parler,

Je me tournai et lui présentai mon profil,

Il approcha tout guilleret,

Je fermai de suite les yeux en me tournant vers le rebord de la fenêtre.

Ce vieux monstre m’empoigna soudainement,

on aurait dit à s’y méprendre un chien galeux rampant vers la couche,

la moutarde me monta au nez et je mis notre nid douillet sens dessus dessous,

Allant même jusqu’à jeter les oreillers sur sol.

Le vieux monstre résigné voyant cela, enfouit sa tête sous un oreiller de son choix, et les jambes dépassant à l’extérieur, il s’endormit bruyamment,

B

Et il ne fut plus question de remette pied à terre.

A

A la deuxième veille,

B

la lune menait son ascension vers le firmament,

A

Lan Lotus-de-la-Chance versait ses larmes dans la chambre nuptiale,

Le cœur meurtri elle ne pouvait se plaindre point auprès des autres,

que Zhou Yujing l’avait prise au piège.

Il comptait sur moi pour effacer la dette en nature,

Père et Mère de toutes manières durent bon gré mal gré consentir au mariage.

Le vieux monstre avait cette année 53 ans,

Moi petite, tout juste 20 printemps.

On dit souvent qu’un vieux mari et une jeune épouse ne sont pas assorti,

Comment une jeune fille peut-elle accompagner une vieillard aux cheveux blanc ?

B

Quand allais-je parvenir à sortir de cet abîme de souffrance ?

A

A la troisième veille,

B

La lune rayonnait à travers les rideaux de gaze,

A

Lan Lotus-de-la-Chance sanglotait sur le lit par saccades bruyantes.

Les yeux rivés sur le voile de soie rouge dont on l’avait recouverte contre son gré (14) caresser l’oreiller brodé lui faisait l’effet d’une pique dans le cœur.

Mieux valait ne pas prêter attention à ce vieux monstre de retour,

A sa simple vue, la colère me montait au point de trembler des lèvres et de grincer des dents.

Dans ses ronflements le voilà pris de divagations,

J’en fus terrifiée au point d’exploser !

Hélas ! Je n’ai point d’issue.

B

A la quatrième veille,

A

la lune reluit sur la crête par dessus la maison,

B

Lan Lotus-de-la-Chance médita longuement dans une tristesse des plus mélancolique.

A

Tout un chacun dit que le mariage est un heureux événement,

J’étais une martyre enterrée vivante au calvaire,

J’étais un oiseau mis en cage qui ne peut plus déployer ses ailes,

J’étais un poisson à l’agonie dans les filets,

Je brûlais de bondir hors de cette demeure Zhou,

telle une oie sauvage et solitaire volant au hasard.

Quand allais-je pourvoir m’en sortir ?

B

A la cinquième veille,

A

Les oiseaux chantaient le point du jour.

Je n’avais pas dormi de la nuit et mes larmes n’avaient pas séché.

Le vieux monstre enragé avançait imposant en rampant,

les billes de ses yeux roulaient dans leurs orbites,

Il me demanda pourquoi je n’avais point fermé l’œil,

pourquoi ce larmoiement ?

Il me gronda en ces termes : « tu épouses un coq, tu suis le coq ; tu épouses un chien, tu suis le chien »,

tu te morfonds de quitter ta chaumière (15),

Ta douleur maintenant ne sait plus où donner de la tête,

te dépecer, t’arracher la chair ou te faire frire.

Il a récidivé et insulté à nouveau Père et Mère,

comme mille lames cherchant à excaver mon cœur.

Je portais jusque dans mes entrailles cette injustice et je ne su où déverser ma rancoeur,

Je n’en pu plus pendant toutes ces années.

Je ne peux que m’en ouvrir à toi.

B

Je fus tout ouïe ma chère sœur d’un bout à l’autre de ton récit,

et je serre la mâchoire de douleur et de haine.

Haïssable est ce Zhou Yujing qui te maltraite en te contraignant au mariage, ma petite sœur,

ma douleur vient de l’évocation de tes années de peine.

Je veux te porter secours et t’extirper de cette océan de souffrances,

Mais je ne sais si tu y consentirais ?

A

Je te remercie petit frère de tes profonds sentiments,

Timidement et toute honteuse j’en appelle à toi Lauréat.

J’ignore mon cher cadet, nous ferions un beau mariage ?

B

Je fais mes études, célibataire que je suis.

A

Tu pleures sans ressentiment pour moi ta vilaine sœur ?

Je te sollicite pour un mariage harmonieux,

éperdue de douleur et harassée je te le demande tendrement,

s’il faut endurer le froid et le gel j’y consentirai de mon plein gré.

B

Si tu as des sentiment pour moi j’y consens,

quand et où nous retrouverons-nous ?

A

Cette nuit à la troisième veille,

Donnons-nous rendez-vous tous les deux devant le Pont aux Indigotiers.

Si j’y suis la première, je t’attendrai.

Si tu y es le premier, attends-moi.

Nous serons comme les deux ailes d’un oiseau qui s’envole,

Ou bien tels ces fleurs de lotus jumelles sur la même tige.

La main dans la main nous gravirons les montagnes,

Le cœur joyeux nous vivrons cent ans.

B

Tu as bien consenti aux conditions de notre union ma douce,

quels biens apportes-tu en gage ?

A

Il faut des gages ?

Voici piquée dans les cheveux une épingle de tête plaquée or.

Si cette nuit je vois l’épingle,

Même si c’est un mendiant qui la porte, je n’aurai le moindre soupçons,

Si je ne vois pas l’épingle,

Même s’il s’agit du gendre de l’empereur, je ne convoiterai pas son palais.

Assez parlé, voici l’épingle,

B

Je la prends dans la main.

L’épingle en main il s’en fut,

A

Lotus-de-la-Chance vînt à lui pour l’arrêter.

Je te donne l’épingle en guise de souvenir,

Toi, quel gage me donnes-tu donc ?

B

Le jeune prince parla,

Un petit éventail de gaze blanche entre les mains.

Bien que ce ne fut point là un précieux trésor,

C’est là tout l’héritage des Wei.

Si cette nuit je vois l’éventail,

Même s’il s’agit d’un laideron, je n’aurai aucun soupçon,

Si je ne vois pas l’éventail de gaze blanche,

Même le paradis, je ne convoiterai.

Assez parlé, voici l’éventail.

A

Elle cache le petit éventail en son sein.

Elle s’en va rapportant l’eau à la palanche,

B

et le jeune prince prend alors la route des montagnes, celle de ses études.

Les livres en mains, il n’a point le cœur de les feuilleter,

La joie des noces occupe toutes ses pensées.

En admirant l’épingle bien plus que les textes,

Il s’en descend de la montagne,

il espére être déjà le soir, mais il est encore tôt,

Il espére qu’il fasse déjà nuit, mais il fait encore jour,

le jeune prince était agacé comme si un chat lui griffait le cœur, et un chien lui lui écorchait la poitrine,

Il ne reste pas en place un instant,

Le voici au coucher du soleil,

et accourant au Pont des Indigotiers à la troisième veille.

Il cherche dans les environs,

Mais point de Lotus-de-la-Chance.

Les Zhou sauraient-ils quelque chose de ce plan ?

N’aurait-elle point achevé quelques travaux domestiques chez les Zhou ?

Le cœur du jeune prince Wei bat la chamade.

Au sud-ouest il fait bien sombre,

Un coup de tonnerre suit un éclair,

Une pluie battante se met à tomber en trombe,

Les torrents dévalent la montagne en vagues géantes,

Les eaux du fleuve écument,

J’ai envie de m’abriter sous le pont,

Mais j’ai crainte que ma chère sœur ne me voit point.

J’ôte ma chemise et l’accroche en tête de pont,

Avec l’épingle dessus.

Le jeune prince s’en va sous le pont pour s’abriter du déluge,

Mais les flots surgissent et il est projeté dans le fleuve.

Il crie une fois,  point de Lotus-de-le-Chance, en écho,

il crie à deux reprises, point de Lotus-de-la-Chance,

Il ripe par trois fois, hurlant par trois fois,

Les crêtes des vagues écumantes ont raison de Wei le Lauréat.

Ne continuons pas davantage sur la mort de Wei au pied du pont.

A

Voyons maintenant du coté de la belle Lotus-de-la-Chance.

A la première veille la belle-mère s’endorme,

à la deuxième veille le vieux monstre ronfle,

Le tambour lui annonce la troisième veille, minuit,

Il fait si noir que les yeux se croiraient aveugles.

La belle sort en toute hâte dans une course folle,

A tâtons elle ôte la cheville de la grande porte,

Bon gré mal gré elle prend l’échelle et fait le mur,

Brisant ses chaînes pour aller retrouver Wei le Lauréat.

Ses cheveux noirs sont libres, elle n’eut l’envie des les enrouler,

sa robe est ouverte et repose sur ses épaules,

Sa ceinture n’est pas attachée,

Ses souliers brodés ne sont même pas enfilés,

Elle n’a que faire de l’eau et de la boue,

A la vie à la mort elle rejoindra le pont.

Elle aperçoit le jeune prince et lui tend la main,

Hélas ! Ce n’est point lui, c’est sa chemise !

L’épingle dorée est là.

J’appelle en hâte le jeune Wei, jeune Wei ! Mes cris en font trembler le ciel !

Jeune Wei ! Jeune Wei !

Ayant hurlé neuf ou dix fois sans aucune réponse,

Je sais qu’il vient d’être submergé par les flots.

Affolée la belle trépigne,

le Ciel ingrat ne voit rien de mon agonie,

un léger retard et le rendez-vous est manqué,

Comment pourrai-je continuer à vivre ?

J’ai brisé ma geôle pour prendre mon envol,

Quitter le foyer est chose facile, réintégrer le foyer est chose ardue.

Je t’appelle mon Cadet, attends-moi un instant,

Je ne peux te quitter et te rejoins dans la mort.

Elle saisit la chemise bleue et saute dans l’eau,

AB

Les voici tous deux réunis flottant l’eau tel des canards mandarins.




(1) « Nannü shoushou buqin » 男女授受不亲 « Hommes et femmes doivent garder leurs distances ». La citation est un précepte très rigide en cours dans l’éducation à l’époque féodale. On la trouve déjà dans les écrits de Mengzi孟子, mais ce dernier se réserve une certaine souplesse dans son application. Un jour un nommé 淳于髠 s’enquit auprès de Mengzi : « Puisque l’on dit que ‘hommes et femmes doivent garder leurs distances’, que faire lorsque l’on assiste à la noyade de sa bru ? » Mengzi répond : « Celui qui assiste à la noyade de sa bru sans la secourir est vraiment cruel comme un chacal. Que les hommes et les femmes gardent leurs distances, c’est là une question de bienséance (li ). Que l’on tende la main à sa bru en pleine noyade, c’est un droit (quan ). Les deux concept de droit et bienséance sont nécessaires. En d’autres termes, bien qu’il préconise qu’« hommes et femmes doivent garder leur distances », Mengzi considère qu’il faut s’adapter aux cas particuliers.

(2) Le conte merveilleux « La Légende du Serpent blanc », baishe, relate l'histoire d'une jeune femme et de sa servante, métamorphoses d'un serpent blanc et d'un serpent vert, toutes deux douées de pouvoirs surnaturels glorifiant l'amour et la compassion. Le récit figure dans la compilation « Contes de la montagne pure et calme » du 16ème siècle.

(3) Héroïne de la célèbre pièce de Wang Shifu « Le Pavillon de l’Ouest ». Hongniang est l’entremetteuse entre le lettré Zhang et Cui Yingying. Elle incarne le modèle de l’entremetteuse type.

(4) Xixiang ji 西厢记 le “Pavillon de l’Ouest” : pièce de théâtre de Wang Shifu.

(5) Zhang Tingxiu est le personnage principal d’un conte compilé par Feng Menglong dans « Paroles éternelles pour éveiller le monde » Xingshihengyan  醒世恒言.

(6) Wang Erjie ayant attendu son époux pendant plus de six années perd tout espoir de le revoir un jour. Elle se rend compte que tous ses efforts pour se faire belle son vains car destinés à personne. Dans un geste de désespoir elle se débarrasse de ce qui lui était nécessaire  pour se maquiller.

(7) Dans le Nord-est, les gens enfilent du papier coloré, des brindilles ou du sorgho fin tressé sur les traverses des maisons. On dit alors ‘enfiler la queue du dragon’. Cela doit contribuer à retenir le dragon chez soi. Il s’agit de la fête du « dragon qui sort la tête » célébrée par l’ethnie han, au deuxième jour du deuxième mois du calendrier lunaire. Au moment du ‘Réveil des insecte’ (5 mars) et de l’ ‘Equinoxe du printemps’ (20 mars) la terre se radoucit petit à petit. La tradition populaire croit que le dragon ayant hiberné tout l’hiver, se réveille et sort la tête justement ce jour-là. Ensuite la pluie se met à tomber avec abondance. Pour aller au fond des choses, la fête du ‘dragon qui sort la tête’ serait peut-être l’évolution du rite ancien du ‘dragon ouvre l’oeil et sacrifie à la pluie’ longjianeryu 龙见而雩. Dans le nord de la Chine la pluie est rare et les gens sont sûrs qu’en attirant le dragon chez soi le vent s’atténuera et la pluie viendra.

(8) Kang : lit de briques chauffé par dessous, en usage dans le nord de la Chine.

(9) ‘déplacer le feutre rouge ‘  désigne un rite qui avait lieu autrefois lors des mariages. On le retrouve aujourd’hui parmi certaines minorités ethniques comme les Xibe (région du Xinjiang, province du Liaoning). La mariée avait la tête recouverte d’une étoffe rouge, honggaitou. Après avoir mis pied à terre, à la sortie du palanquin, elle prenait le bras de sa belle-mère qui l’accompagnait à l’autel de la cérémonie, foulant aux pied le feutre rouge. Puisqu’à ce moment-là il n’y avait pas assez de longueur de tapis rouge, on déplaçait successivement un petit morceau ou deux de feutre rouge pendant la procession de manière à ce que la mariée puisse le fouler en permanence. Le terme dao signifie ici ‘déplacer’. Il est synonyme de dao ou daoteng倒腾.

(10) Littéralement : « une grande assiette gelée »

(11) zuofu  坐福  il s’agit d’une tradition exigeant de la jeune mariée s’assied face au sud sur un coussin ouaté sous lequel on avait placé une hachette.

(12) Xiaochi : les mises en bouche sont préparées à l’attention des beaux-parents par la famille de la mariée.

(13) Zisun jiaozi 子孙饺子 : il s’agit là d’un nouveau rite matrimonial. Les époux mangent les raviolis de la postérité dans le but de favoriser une grande descendance.
(14) Suivant la coutume chinoise, le visage de la mariée jusqu'à l'entrée dans la chambre nuptiale est caché par un voile rouge.

(15) Littéralement il s’agit d’une comparaison avec le bétail qui doit quitter une mangeoire pour une autre. L’expression est passée dans le langage courant pour désigner les personnes qui change d’emploi.

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